La déroute de Fanny

Fanny venait de quitter le bal en pleurs après sa triste découverte.
Narcisse, son prince charmant, son bien aimé avec qui elle avait passé cette délicieuse nuit après une ballade nocturne en balai, s'était moqué d'elle.

Il l'avait trahi. Il avait invité une autre femme qu'elle au bal et en même temps qu'elle.
Pourtant, il avait pris le temps de la séduire....tout ça pour rien.

Fanny se posa sur le bord de la fontaine.
Ses larmes se mêlèrent à l'eau dans laquelle elle trempa sa main.

Elle avait eu une réaction puérile, elle le savait, lancer une tarte à la fraise sur Narcisse n'était pas le meilleur exemple à donner et cela ne l'avait même pas soulagée mais le geste avait été plus fort qu'elle.

Narcisse traversa le hall en courrant. Ses chaussures si belles quelques intants auparavant, glissaient, tartinées de gelée. Il se rattrappa à un pilier avant de s'étaler une nouvelle fois par terre et grogna , tempéta, s'énerva tout seul après lui-même. Enfin, il parvint au bout et poussa les lourdes portes de l'entrée.

Qu'allait il donc raconter à Fanny ? *Un frêre jumeau ?... M'étonnerait qu'elle marche...* n'ayant pas d'autre idée pour s'innocenter à ses yeux, il préféra oublier l'épreuve qu'il s'obligeait à passer pour ne se concentrer que sur sa course. Il devait, coûte que coûte la rattraper !

Mais alors qu'il empruntait le sentier du jardin et que ses pas s'enfonçait dans la neige souillée de tous les pas qui l'avaient écrasée, il entendit un sanglot du coté de la fontaine de la sirène.

Il s'approcha et dans l'obscurité scintillante de neige gelée, dans le doux son des goutelettes glaciale de la fontaine, il murmura d'une drôle de voix, déformée par le nez de cochon tout rose qui avait remplacé le sien si droit et si fin :"Fanny ?"

Fanny reconnut la voix de Narcisse mais elle n'avait pas envie de le voir.
Cependant, elle eut peur que ce dernier se rapprochat d'elle et elle tenait à garder ses distances.

"Oui c'est moi Narcisse, mais je ne veux pas vous voir, oubliez moi et laissez moi tranquille."

Le vouvoiement avait repris le pas sur le tutoiement marquant ainsi la distance et le mécontentement de Fanny.

Il l'avait tellement déçu qu'elle ne pouvait plus lui accorder sa confiance

C'était bien elle, elle le lui répondit, le dos tourné, et pour cela elle le vouvoya ! Comme si tout ce qu'ils avaient vécus ensembles n'existait plus. Narcisse en eut le coeur émiété. Il le sentit se figer, lui qui déjà ne battait plusque dans un étau étroit, puis se briser d'une douleur terrible.

Pourtant, ce n'était pas la première fois qu'il vivait une telle scène, et chaque fois son coeur se prenait un choc à ébranler les montagne. Fanny le repoussait ! Qu'espérait il donc en la suivant dehors ? Sécher ses larmes, adoucir son chagrin, naïvement il pensait tout réparer pour la voir rire encore !

Il détestait leur faire du mal, il se haissait à chaque fois ! Ne pouvaient elles comprendre sa gourmandise ? Ne pouvaient elles se le partager ? Lui leur offrait tout pourtant ! Il resta silencieux dans sa propre douleur, dans l'ombre, sans faire un pas de plus.

Enfin, il ouvrit la bouche et dit :"Je... Je suis désolé..." Que pouvait il dire d'autre ? De toute façon, personne ne le comprenait ! Personne, et depuis toujours ! Ses parents les premiers, ses professeurs, et surtout, celles qu'il adulait entre tous : Ses femmes... Seule Wilma avait fermé les yeux... Wilma... Qui n'en avait qu'après son argent...

La tête baissée, les yeux humides et la gorge serrée, il tourna le dos à Fanny à son tour et partit... La neige craqua sous ses pas, puis sous son pas de course. Narcisse s'enfuyait. Il s'était toujours enfui ! Les larmes aux yeux et la gorge en feux à cause du froid et de l'effort, il s'enfuit vers Mivia Town.

Fanny fut, malgré le détachement qu'elle voulait montrer à Narcisse, affectée
par la douleur de ce dernier.
Il ne lui fit pas de grands discours, juste de simples excuses.
Ce n'était pas aussi simples, il l'avait vraiment blessé mais là, il ne se cachait pas derrière des artifices, il paraissait sincère et naturel;

Fanny avait envie de savoir de comprendre ce qui l'avait poussé à inviter toutes ces femmes au bal.

Il lui fallait des réponses peut être pour l'aider à apaiser son chagrin.

Elle cria fort son prénom en espérant qu'il l'entendrait.
"Narcisse, attend, il faut que nous parlions"

Le coeur battant *Tiens ? Il est pas cassé en miette ? Celui là ?* la chamade à cause de sa course, de la rage, de l'amertume et de la tristesse, Narcisse n'entendait que lui à ses oreilles et le bruit de ses pas étouffés par la neige.

Son nez de cochon l'empéchait de respirer correctement, et il s'essouflait vite. Il n'avait plus qu'une idée en tête : Allez au Sorcier Fringant boire jusqu'à plus soif ! Une chanson lui trottait en tête : "L'ami remplie mon verre, encore un et je va, encore un et je vais... Non, je ne pleure pas... Je chante et je suis gai, mais j'ai mal d'être moi, ami remplie mon verre, ami rempli mon verre... Buvons à ta santé, toi, qui sait si bien dire, que tout peut s'arranger, qu'elle va revenir..." *

Mais sa performance mentale fut interrompue par le cri de Fanny. Narcisse s'arréta net. *Parler ? Pour dire quoi ?* se dit il en serrant le poing. Il baissa la tête. Fanny avait demandé à ce qu'il revienne... Pouvait il faire autrement ce serviteur des femmes, même si l'épreuve qu'on voulait lui imposer n'avait rien d'agréable... Il fit donc demi tour en soupirant et revint vers la fontaine...

Il releva la tête vers Fanny et d'une voix basse que la neige semblait etouffer, et annonante à cause du ridicule nez qui lui mangeait la voix, il lui répondit :

"Et que veux tu savoir Fanny ? Que tu t'es donné, toi si fabuleuse, à un moins que rien ?" Un moins que rien, oui le terme était bien trouvé ! Seul un moins que rien pouvait faire souffrir une femme ! Il s'en voulait de s'être fait prendre, il s'en voulait de ne pas avoir essayé de le dire à Fanny avant... Mais il le savait bien que lui aurait elle dit ? "Dégage Narcisse ! On ne me trompe pas, moi ! Je refuse de te partager !" Il était condamné à les faire souffrir... Et en cela il était un moins que rien ! Lui qui ne voulait que leur bonheur ! Cette injustice lui faisait encore plus mal et ses machoires se serrèrent et il détourna la tête, buté.

* "L'ivrogne" de Jacques Brel

Narcisse sembla couper net dans son élan quand Fanny l'appela.
Il sembla quelque peu hésiter puis se retourna et se rapprocha d'elle afin de savoir ce que cette dernière avait a lui dire.

Fanny avait du mal à trouver des mots....même un simple son semblait difficile à faire sorir.
Pourtant, il le fallait, ellle devait comprendre ou au moins savoir pourquoi avait -il eu ce comportement, tant bien même cela devrait être la dernière conversation qu'ils auraient ensemble.

"Je...je voudrais comprendre Narcisse...comprendre pourquoi as-tu eu besoin de nous inviter toutes les trois...comment as tu pu nous inviter toutes les trois sans penser au mal que tu risquais de causer...
Aurais-tu été honnête avec moi si tu n'avais pas été découvert ce soir...j'ai besoin de savoir, tu me dois au moins çà"

Les mots étaient sortis sans colère de sa bouche, sans amertume, presque comme une sensation de vide immense à vous glacer.
Fanny se sentait vide et tellement triste

Fanny parlait doucement. Elle devait contenir sa colère. Comme un enfant certain que l'on va le gronder, Narcisse restait enfermé sur lui-même, limite boudeur. Il contenait son agressivité. A quoi servait ses belles paroles, à quoi cela servirait il de disséquer sa faute ?

Fanny demandait. Sa voix allait jusqu'au coeur à présent rebel de Narcisse et chantait sa douce mélodie. Il lui fallait répondre. A nouveau il s'y sentait obligé : La sirène avait demandé et lui, pauvre charmé, ne pouvait s'y soustraire. Ce serait sûrement ça le plus dur dans les prochains jours : L'absence de cette voix, le vide laissé par la douce chaleur du corps de Fanny, la joie qu'elle lui procurait tous les jours... Pourquoi avait il fait cela... Ah s'il le savait seulement....

"Je voulais vous faire plaisir... à toutes..." marmonna t-il.

Honnète... Elle lui avait demandé quant à l'honnèteté, dans quelle voie il se serait engagé. Narcisse baissa la tête. L'honneteté, mais qu'est ce que c'était ? Un couteau aiguisé qui faisait mal... Aucune d'entre elles n'auraient apprécié son "honneteté" !

"Je sais pas..." dit il au bout d'un certain temps, d'une voix tellement basse qu'elle se confondait avec le vent glacial qui se levait. "Est ce que tu aurai aimé que je t'avoue aimer passionnément plusieurs autres femmes ?" lui lança t-il par défi, la douleur qu'elle lui causait... Oui, par sa propre faute à lui, mais elle... C'était elle qui lui faisait mal, là, à vouloir tout savoir. Et à lui faire mal, il devenait méchant... Lui voulait aller oublier tout ça dans une bonne cuite. Oublier les femmes, oublier leur voix enchanteresses, leur corps voluptueux, leur cheveux sensuels, leur esprit si brillant, leurs manières douces et chaudes dans lesquelles on aimait se blotir... Ah ! oublier une telle créature si merveilleuse mais si multiple... Oublier à jamais et ne se retrouver que tout seul devant son verre...

Narcisse savait bien que les effets de l'alcool redescendaient toujours pour le replonger dans un monde plus noir que celui qu'il avait laissé... Mais il restait les mixtures de Dimitri l'ex-bassiste de son ex groupe... Avec ça, pas sûr qu'il redescende... Mais non. Narcisse s'était battu contre Dimitri à cause de cette drogue ! Et il avait perdu... A un contre trois, il n'y avait pas de déshonneur, mais aujourd'hui, l'autre aurait été bien content d'apprendre que son ex-ami avait replongé ! Trop content même...

Narcisse se disait aussi qu'en laissant parler sa méchanceté, peut-être que Fanny le chasserait, qu'elle l'oublierait... Qu'il serait plus facile pour elle de tourner la page... Pour elle, parce que pour lui, il ne l'oublierait jamais. Sa chère Fanny... Vite, aller oublier tout ça ! *Mais vas y Fanny, sort ta colère, exprime la ! Chasse moi !*

Fanny eut le souffle coupé quand elle entendit les révélations de Narcisse.
Etait-il vraiment possible qu'il aimât plusieurs femmes à la fois...après ce qu'ils avaient vécu ensemble...avait-il véu des moments similaires avec les autres.

Comme transpercée par cet éventuel partage d'intimité, de complicité avec d'autres qu'elle;
Elle ne voulait pas à Mélissandre ou encore à l'autre professeur mais Narcisse lui savait, savait les dégâts que son attitude pouvait causer.
Etait-ce donc simplement un jeu pour lui comme des marionnettes dépendantes de leur marionnettiste.
Mais elles, avaient une âme, leur propre liberté de pensée et leurs propres émotions aujourd'hui bafouées par ce goujat.

Pourtant à le voir ainsi devant elle, comme un enfant fautif attendant sa punition, il ne donnait pas l'impression d'un joueur.
Il ressemblait plutôt à une personne de dépendante, dépendant aux femmes, incapable de résister à leurs charmes.
Peut être les voulait-il toutes....toutes pour les aimer, pas pour les collectionner...

A quoi bon continuer à discuter, Narcisse ne semblait pas près pour ça et Fanny non plus. Elle ne voulait pas subir cette nouvelle épreuve ce soir.
Elle le lâcha donc des yeux et se retourna comme pour mettre fin à cet entretien...

Narcisse vit avec souffrance les dégâts qu'il provoquaient avec sa méchanceté calculée. Le résultat fut à peu près ce qu'il attendait. Fanny accusa le coup et l'ignora.

A présent, il pouvait partir... Il hésita quand même un quart de seconde, puis baissant la tête, il fit demi-tour et partit d'un pas lourd dans la neige, les mains dans les poches, vers Mivia Town... Il n'y avait plus rien à dire... Arrivé à l'entrée des jardins, il soupira, provoquant un nuage de brume dans l'air glacial.

*Quelle plaie...* pensa t-il. *A chaque fois, c'est pareil... * et il soupira à nouveau en reprenant son chemin jusqu'au sorcier fringant que cette veille de Noël avait endimanché. Le patron avait mis des guirlandes et de nombreuses bougies flottaient dans les airs. Le patron accueillit Narcisse en vieil habitué et le réconforta à sa manière...