Souvenirs et hall silencieux

Un tableau avait vertement rabroué Eli, et brisé l'atmosphère étrange du retour à la réalité. En passant devant l'escalier qui montait jusqu'au bureau du directeur, la jeune femme s'écarta d'Edward, comme prise en faute, alors que l'instant d'avant elle s'était blottie tout contre lui.
Ainsi l'esprit de Lord Eidos n'avait pas vraiment été chassé du château. Son emprise était visible dans le comportement de son aimée, même si Ed avait contribué en partie à la sortir de ce lien encombrant.

Un instant, croisant le regard d'Eli, le jeune homme se revit avec elle, dans ce même château, à braver une fois encore l'autorité parentale pour elle et directorale pour lui. C'était bien souvent lui qui entraînait la petite fille qu'elle était alors dans de telles combines, et même si être à présent professeur aurait dû lui donner une certaine maturité, il ne regrettait pas les règles qu'il avait pu outrepasser.

Puis alors qu'ils quittaient l'escalier en colimaçon, et passaient tous deux le seuil du grand hall, dix ans après, un silence inhabituel les accueillit. Le bruit de leurs pas, qui se répercutait au loin, était étouffé par la taille du lieu. Les deux adultes qu'ils étaient devenus paraissaient minuscules dans la pénombre accueillante.

Accueillante, car Edward n'avait jamais craint l'obscurité. Les ombres étaient ses amies depuis longtemps. Sans elles, il ne serait pas là aujourd'hui. Plus que le fait de ne pas voir, c'était ne pas être vu qu'il fallait garder à l'esprit. Et puis, les perceptions ne devraient surtout pas se limiter à la vision. Le toucher, par les paumes, par les pieds, mais aussi par la pression de l'air ambiant, jouait un grand rôle. L'ouïe également, bien entendue.

Mais Eli avait parlé avant cela, posant une question qui plongea Ed dans la perplexité. "Tu avais déjà pensé à moi avant...?"
Drôle de question venant d'Elisabeth. Cela ne lui ressemblait pas. Le jeune homme ne s'attendait pas à telle demande, à telle formulation. Et plus que tout, il ne savait pas quelles pourraient être les répercutions de sa réponse...

Il n'avait pas remarqué qu'à ses côtés la jeune femme s'était ratatinée comme une adolescente prise en faute. Il réfléchissait à toute vitesse, tentait de trouver les bons mots, ceux qui réconforteraient tout en disant la vérité. Mais il avait beau chercher, rien ne venait. Dans la fureur du combat qu'il livrait contre lui-même en cet instant, Ed ne parvenait pas à démêler les idée cohérentes qui pourraient nourrir ses mots.

Comme il se décida enfin à parler, il stoppa net, surprenant sans doute sa cavalière. Peut-être pouvait-elle sentir la tension qui parcourait sa main en cet instant. Avec une conscience presque irréelle de la délicatesse de cette main qu'il tenait, dernier lien physique entre eux, Edward brisa enfin le silence gênant qui s'était installé.

"Tu sais, quand je suis pari, j'avais... J'étais jeune et fougueux. Je suis en quelque sorte parti à l'aventure, laissant tout derrière moi. Tu étais au courant que je sortais à ce moment-là avec Virginie."

Un sourire crispé passa rapidement sur son visage, à demi masqué dans la pénombre. Ses paroles ne l'emmenaient pas du tout vers là où il voulait, mais il ne pouvait faire marche arrière. Et puis, que pouvait-il dire d'autre ?

"Pourtant je suis parti sans jamais donner de nouvelle. Ce n'était pas le plus important à ce moment-là. Ce n'était sans doute pas gentil de ma part d'agir comme je l'ai fait mais... Je ne peux pas revenir en arrière."

Edward avait à présent une conscience aigüe du silence feutré qui entourait les deux jeunes gens. Un instant, cela lui parut même oppressant. Serrant légèrement plus fort la main d'Eli, il chassa ce sentiment avant qu'il ne s'installe.

"Ensuite, j'ai eu beaucoup de choses auxquelles penser. Je ne devais pas faire d'erreur. Pendant un moment, je n'ai été pris que par... Ce que j'ai fait à ce moment-là, mes voyages, garder secrète mon identité...

Par la suite j'ai eu plus de temps pour penser. Pour me souvenir. Des moments de solitude, de plus en plus...
Alors bien sûr qu'il m'est arrivé de penser à toi. Nous avons tellement de souvenirs en commun. Même si je m'en suis éloigné, je ne peux pas les oublier comme ça."

A présent que les mots sortaient, c'était devenu plus facile de parler. Oublié le grand hall froid, sombre et désert. Oubliés les tableaux qui pouvaient sans doute entendre cette conversation. Oublié le château et ses habitants endormis. Oublié... Justement, pas tout à fait :

"Je me disais que tu devenais une jeune fille pleine de vie, j'essayais de me faire une image de toi plus âgée qu'à l'époque. Mais c'était dur. Le temps s'était arrêté pour moi en quelque sorte.

Et puis... Il y a eu cette affaire. La disparition de ton père. De grands bruits ont couru. Comme je te l'ai dit, je n'ai pas été au courant tout de suite. J'ai su que tu avais repris la direction de l'école. A ce moment-là j'ai particulièrement pensé à toi. Au courage qu'il t'a fallu pour supporter ce poids.
Je savais que tu étais de taille, que tu étais forte."

Un soupir monta lorsque se rappela au jeune homme la vision de la nouvelle Elisabeth qu'il avait découverte dans son bureau. Il y avait si peu de temps encore...

"J'ai pensé à toi, mais pas suffisamment sans doute. Je n'ai pas su être là lorsqu'il l'aurait fallu... Je suis désolé...
Je sais à présent que c'est pour toi que je suis revenu. Je peux voir que tu as changé. Même s'il reste encore en toi la Lisbeth que j'ai connue.

Edward fit silence quelques secondes puis...

"Ce n'est pas une excuse, ni pour me faire pardonner. Mais j'ai pensé à toi, oui..."

Il ne savait trop pourquoi, mais il avait l'impression qu'il passait à côté de quelque chose. Soudain sa réponse, qui lui était venue naturellement, paraissait maladroite et déplacée. En cet instant, l'incertitude rongeait Ed, sans qu'il puisse expliquer pourquoi. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était chercher la réponse dans les yeux de sa bien-aimée.

Le silence qui suivit sa question gêna encore d'avantage Elisabeth. Elle s'en voulut d'avoir prononcé ces mots, elle regrettait déjà tout ce qu'Edward pourrait répondre. C'était de sa faute, elle avait réagit comme une enfant curieuse, et elle n'avait pas prit le temps de chercher les bons mots.

Elle voulut alors faire taire Edward, lui dire qu'il oublie sa question, qu'elle n'aurait pas dû lui demander cela et que de toute façon, elle ne voulait rien savoir mais alors que ses lèvres s'entrouvraient, il commença à parler, s'arrêtant par la même occasion au coeur du hall. Cet arrêt surprit moins Elisabeth que ses premiers mots.

Elisabeth sentit son coeur faire un bond et se serrer jusqu'à déborder jusque dans sa gorge. Pourquoi parler de Virginie Seyes??? Elle n'avait absolument pas envie de penser à cela, ni à elle, ni à sa soeur Manon qui lui racontait toujours les amours de "Vivi", ni à ces soirées où elle ressentait cette étrange jalousie de penser à Ed avec cette grande Rousse, quand il aurait pu passer un moment avec elle. Si les choses étaient moins évidente à l'époque, son ressentit face à cette simple phrase explicitait bien les choses.
Ainsi les pensées bourdonnantes, les joues rougies par sa douce colère d'entendre ce "j'étais avec Virgine", elle n'entendit même pas la phrase suivante d'Ed.
Sa main crispée dans celle de son cavalier devait perler de sueur et elle n'avait qu'une envie à ce moment, la retirer.

Elle plongea son regard vers le sol, perdue et regrettant encore plus amèrement d'avoir eu une telle question.
Ed serra un peu plus sa main, ce qui ne fit qu'augmenter la gêne d'Elisabeth. Elle l'écouta parler, sentant que son esprit ne voulait qu'une chose: Mal interpréter tout ce qu'il pourrait dire.
Intérieurement, les phrases qu'il disait rebondissaient et une voix serrée les réduisait en ironie, en moquerie, en maladresse, en "ce qu'il ne faut pas dire". L'esprit d'Elisabeth, prit soudain par un grand malaise ne voulait plus rien entendre et ne voulait que souffrir encore, se punir d'avoir posé une question qui pourrait avoir de mauvaises réponses.
Eli leva les yeux sur Ed quand il nomma la disparition de son père.
A ce moment, si l'obscurité n'avait pas caché son visage, Ed aurait sans doute vu que son regard lui criait de ne surtout pas être maladroit sur ce sujet, semblant briller de faible colère.
Il expliqua alors qu'il avait pensé à elle, à sa force, à ce qu'elle devait vivre. Un soupir se fit entendre, soufflé par les narines d'Eli, ses lèvres s'étant pincées.
Edward parlait toujours et Elisabeth comprenait qu'il avait mal comprit sa question, et que du coup, elle entendait des choses qu'elle n'avait pas envie d'entendre. Ironiquement, Ed avait soupiré en même temps qu'elle, mais pas de la même façon.

Au final, à sa conclusion, alors qu'Ed cherchait son regard, Elisabeth redirigea son regard vers le sol. Il avait pensé à elle, il lui disait, et il était désolé de ne pas avoir été là quand elle en avait besoin.
Elisabeth se sentait l'envie de fuir à présent. Quelle idiote! Quand elle avait posé cette question, tout à ses sensations d'ancienne adolescente, elle n'avait pensé qu'en adolescente romantique et bête. Elle aurait peut-être voulu entendre Edward lui dire qu'elle avait été son seul réconfort pendant toutes ses années. Qu'il avait comprit combien il l'aimait alors que la distance les laissait perdus loin de l'autre. Elle aurait peut-être voulu entendre que quand ils parcouraient les couloirs d'Elementia, Edward avait eu peur de comprendre qu'il ne ressentait pas que de l'amitié pour elle. Au lieu de ça, il lui rappelait sa liaison avec la soeur de sa camarade de chambre, et semblait dire que s'il s'était interrogé sur ce qu'elle devenait, il n'avait jamais eu ce frisson en lui quand il pensait à elle.
Que c'était agaçant d'être parfois une fougueuse Aqua!! Une fougueuse furieuse!

Mais est-ce qu'elle elle venait lui parler de ses anciens amoureux? Elle ne lui ferait même pas l'affront de parler de Matthias , tandis que lui il lui poignardait les entrailles en nommant Virginie. (Pour en savoir plus sur Matthias, il faut bien fouiller les archives et mon bureau, même si je n'approuve pas tout.)

Elisabeth ferma les yeux. Elle respira lentement, essayant de surtout ne rien montrer de sa montée de stress. Elle releva sur Edward son visage portant un étrange sourire. On pouvait y lire ce qu'on voulait. La fatigue, le remerciment, la deception, le tristesse, l'amour, tout y était mêlé comme dans son esprit.
Elle ne voulait rien dire, surtout pas.

Elle décida alors de reprendre la marche qui avait cessé.
Elle savait que son silence était plus fort que les mots mais elle savait que tout ce qu'elle dirait serait mal venu.
Mon dieu qu'elle était insuportable, qu'elle était compliquée! Mon dieu qu'elle était épuisée, vidée par cette soirée et qu'elle était idiote, vraiment, d'avoir posé une telle question au lieu de conclure par un au revoir langoureux une soirée qui aurait pu être idéale. Mon dieu qu'elle était bien une Aqua!

Le silence engloutit le couple. Edward ne savait plus que dire, et Eli s'était faite plus muette qu'une tombe. Tous deux regardaient le sol, qu'ils ne parvenaient de toute manière pas à bien distinguer dans la semi-obscurité. A présent qu'ils étaient immobiles, même le bruit de leurs pas ne venait plus cadencer le temps qui passait. Et puis Eli releva la tête. En voyant son visage, Ed sut qu'il en avait trop dit. Cette expression qu'elle arborait, indécryptable, marquait une telle rupture d'avec l'ouverture dont elle avait fait preuve toute la soirée, qu'il était impossible de ne pas voir qu'une page venait de se tourner.

Les yeux que sa cavalière posait sur lui étaient étranges. Alors qu'ils s'étaient si bien compris le temps d'un soir, le temps d'une danse, Ed ne parvenait plus à déchiffrer ce qui se cachait derrière ce regard. Comme si des herses s'étaient abattues soudainement, bloquant l'accès au coeur de son aimée. Ses mots avaient sans nul doute dû la blesser.

Mais il ne parvenait pas à reprendre ses esprits, à expliquer réellement ce qu'il voulait dire. Ou même ce qu'il aurait dû dire. Tout ce qu'il pourrait ajouter serait de trop. Eli avait déjà subi suffisamment en ce début de nuit, pour qu'il n'en rajoute pas. Il l'avait vue remonter le temps, redevenir de plus en plus semblable à la Lisbeth qu'il avait connue, mais à présent elle était redevenue la femme chargée de tristesse.

Et si... Et si il n'avait vu que ce qu'il avait voulu voir, cru ce qu'il avait voulu croire ? Et si revoir Eli redevenir elle-même l'avait induit en erreur ?
Peut-être avait-il imaginé tout ça ? Peut-être remettait-elle les choses à leur place ? Peut-être ?

Non, impossible. Ces regards, ces contacts. Ce baiser. Même à présent, alors que l'atmosphère devenait lourde, le contact de la main d'Eli n'était pas désagréable. Sa main était devenue moite, mais elle n'avait pas cherché à l'enlever. Mais alors, pourquoi ne disait-elle toujours rien ?


[à finir...]

Nous n'avons sûrement pas assez répété qu'Elisabeth Eidos était une ancienne Aqua. La maison de l'eau protégeait des membres vraiment uniques, qui avaient des personnalités fortes et tranchées, pas de demi-mesure quand on était Aqua, ou si peu. Cependant, les Aquas étaient maladroits, voire patauds parfois.

Ainsi, alors que la marche reprenait, Elisabeth sentit son amertume partir devant la maladresse des propos de son cavalier. Mais surtout, elle se demanda soudain qui était le plus maladroit? Ed qui l'entourait d'attention malgré sa froideur première et son attitude réservée? Ed qui l'écoutait, la cajolait, la consolait en ayant si peu en retour?
Avant de lui demander, si égoïstement, si il avait pensé à elle... Avait-elle cherché à savoir ce qu'il avait vécu? les aventures de sa vie? Elle avait vécu un drame, et tout le monde sorcier le savait, mais et la vie d'Edward? N'avait-il pas besoin, lui aussi, d'être écouté, ressourcé, cajolé en silence...?

Il avait maintes fois évoqué ses "voyages". Elle avait entendu parler, vaguement, de certains dans la presse.. Peut-être certaines affaires se devaient de définitivement rester un secret, mais pourquoi Eli n'avait pas encore été là pour l'écouter lui raconter...

Au lieu de ça, Elisabeth s'était abandonnée à lui, le laissant écouter ses mots et ses maux, prennant cette épaule tendre pour l'acceuillir, sans elle même tout de suite lui proposer la même caresse attentive.

Elle se mordit la lèvre, la fatigue aidait à ses "sautes d'humeur" mais elle savait malgré tout, que là, elle ne pouvait ignorer son égoïsme.
C'est donc dans un regard un peu perdu qu'elle fixa de nouveau Ed. Puis elle quitta sa main pour s'accrocher à son bras entier et poser sa tête contre son cou.

"Je suis épuisée...excuse-moi..."

Des excuses pour son silence précédent. Une sorte de retournement de situation, encore un. Pourvu qu'Edward ne s'en effraie pas.

Elle se colla un peu plus à lui, ignorant le risque de croiser quelqu'un, et le regarda attentivement.

"Tu me parleras de tes voyages...de tes aventures...? Si tu le veux, bien sûr...mais j'aimerai tant...tant...je voudrais tout savoir de toi."

Elle ferma les yeux, emportée par la fatigue, et sa tête se fit plus lourde contre l'épaule d'Edward. Si elle suivait toujours son pas, entraînée dans ses pas, elle semblait déjà plongée dans un léger sommeil.

Les questions continuaient de se bousculer dans la tête d'Edward, et aucune réponse ne venait la désengorger. Chaque nouvel aspect auquel il pensait ne faisait que le perdre un peu plus dans les méandres de l'incertitude viscérale qui empêchait tout bon sens de reprendre le contrôle de l'esprit du jeune homme.

Côte à côte, les deux cavaliers auraient pu se trouver à plusieurs mètres l'un de l'autre, tandis qu'ils repartirent en direction de leur chambre. Edward s'en voulait, il aurait dû clore la soirée en beauté, éluder la question d'Elisabeth. Cela lui aurait ressemblé, lui qui avait pour habitude de passer sous silence tant de secrets. Mais alors, pourquoi s'était-il enlisé ? Etait-ce donc cela, être lié par les sentiments à une personne, être incapable de lui mentir ou de fuir ?

Ed n'osait qu'à peine jeter des regards furtifs à son aimée, qui semblait si fragile en cet instant. Il ne la vit pas changer d'attitude, et pourtant l'instant d'après elle était de nouveau contre lui, pendue à son bras, lovée contre lui. Il ne cherchait même plus à comprendre, ça dépassait son entendement. Alors qu'elle semblait presque fâchée contre lui l'instant d'avant, elle quêtait à présent chaleur et réconfort comme si rien n'avait eu lieu.

Elle s'excusa même de son attitude. Pour toute réponse, Ed passa tendrement son bras autour des épaules de sa cavalière. Il ne dit rien, mais on comprenait sans peine qu'il ne lui en voulait pas.
Et puis elle le surprit encore, redevenant tout à fait la fille qu'il avait connue par le passé, demandant qu'il lui raconte ses voyages, ses années loin du château, loin d'elle. Ed en avait envie, de combler ce fossé qui les séparait encore. Il croisa alors son regard pour la première fois depuis qu'ils avaient repris la marche.

"Je te raconterai, oui..."

Tout savoir de toi. Les mots résonnaient dans la tête du jeune homme. L'ampleur de ces mots le mettait à nu. Au fond, qu'avait-il à cacher ? Il ne raconterai pas tout, certaines choses devaient rester secrètes. Mais la lassitude étendait déjà ses ailes sur les épaules de son aimée, et le poids du sommeil agissait en partie.
Sans s'en rendre compte, ils étaient déjà arrivés devant les portes de leur chambre. Ed s'arrêta. La nuit était déjà bien entamée, et ils devaient dormir un peu avant le matin. En attendant, c'était une soirée qu'ils n'étaient pas près d'oublier.

Dans la pénombre, Ed détailla une dernière fois Eli, profitant pleinement de tous ces petits détails, trop souvent rognés au profit de la grandiloquence des souvenirs. Ses cheveux, qui se battaient de toutes leurs forces contre la coiffure rigide. Des boucles qui chatouillaient légèrement le menton d'Edward. La limite entre l'ourlet de la robe et la peau de son aimée, là où reposait sa main en cet instant. Le parfum qui émanait d'elle. La tiédeur de son contact, le poids de sa fatigue, partagée dans un dernier caprice complice.

Mais qui pouvait bien s'en inquiéter en cet instant ? Les enfants étaient au lit depuis longtemps, et les professeurs devaient dormir, sans doute harassés par la soirée mouvementée. Non, personne en cet instant n'avait de raison de se trouver là, sans compter que ce couloir ne menait nulle autre part qu'à leur logement respectif. Edward serra Eli contre lui avec délicatesse, s'imprégnant de ce geste. Et puis, au bout de ce qui aurait pu être une seconde ou un siècle :

"Tu tombes de fatigue. Nous ferions mieux d'aller nous reposer. Pourquoi ne pas aller nous promener un de ces jours, nous pourrons discuter librement."