Carpe Auroram

L'allée piétonne de Mivia Town était calme. Ouranos coula son regard au bleu éthéré sur les bâtisses tassées, collées les unes aux autres comme pour se tenir chaud en cette fraîche matinée. Il y avait encore peu de monde à l'extérieur, et tandis que les écharpes de brumes disparaissaient comme à regret des ruelles encore sombres du village, les boutiques les plus matinales ouvraient leurs volets, et un balai solitaire époussetait déjà le perron d'une minuscule échoppe, tandis que le propriétaire baillait à s'en décrocher la mâchoire, une tasse de café à la main.

Le Grec éleva très légèrement le menton pour observer le ciel. Il était nuageux et gris, presque pesant. Sans doute se mettrait-il à pleuvoir bientôt. Insensiblement, le jeune fabricant de baguettes pressa le pas, ses mains fines et marmoréennes refermées sur le col de sa longue et chaude cape noire, et sa longue chevelure blond cendré voletant à peine sous la brise glacée.
Il était arrivé au Dragoport alors que le soleil venait tout juste de poindre à l'Est; il se serait volontiers extasié sur la beauté du Domaine et de la rivière Hope si la fatigue n'avait pas pesé de tout son poids titanesque sur ses paupières. Il avait passé le pont presque à l'aveuglette, zigzaguant très légèrement, et uniquement poussé par l'espoir de trouver un peu de repos au village. Il s'était arrêté quelques instants sur un banc pour souffler un peu, et s'administrer quelques claques destinées à lui rendre un air plus vif et éveillé –il allait rencontrer Endymion Selestin, nom de Zeus! Ce n'était pas le moment de somnoler!
Les joues rosies autant par ce traitement que par la fraîche température, Ouranos s'était relevé pour rejoindre la boutique de baguettes. Toutes ses affaires avaient subies une série de sortilèges de reducto, et il en sentait le brimbalement au fond de sa poche, contre sa baguette et son carnet de note.
Lorsqu'il se retrouva sous le sylphe de l'enseigne, Ouranos se figea un bref instant, oubliant même qu'une fine pluie froide commençait à tomber. Endymion Selestin. Ce nom vénéré à l'unanimité dans la communauté des mages artisans soulevait à lui seul une foule de souvenirs dans l'esprit d'Ouranos; il ne n'avait jamais rencontré (ou peut-être quand il était en bas âge), et pourtant son père et son grand-père l'avaient tant abreuvé de récits à son sujet toute sa vie durant qu'il avait la fausse impression de tout connaître de lui. Un homme hors du commun et hors du temps, qui portait sur ses épaules un long manteau de mystères brumeux…

Et il allait travailler avec lui, dans sa boutique.

Une goutte de pluie tombée comme une aiguille de glace sur ses lèvres rappela Ouranos à la réalité, aussi sidérante soit-elle. Il eut un vague mouvement de tête pour disperser les voix chantantes de ses parents surgis de sa mémoire, et s'avança sur le perron de la boutique. La porte n'était pas verrouillée, mais il la poussa le plus silencieusement possible, comme s'il avait peur de troubler le calme des lieux. Une pléiade scintillante de gouttelettes d'eau couronnait les rets de sa frange, et lorsqu'il fit ses premiers pas dans l'antique commerce, il dénoua distraitement sa cape de voyage, et la pendit par-dessus son bras tout en laissant son regard pesant mais brillant sur les reliefs de l'intérieur. Chaleureux, presque encombré, et de toute évidence très vieux…il avait un peu l'impression de se retrouver dans l'atelier de ses parents, à la différence près que son souvenir était plus lumineux, et plein d'une odeur de résine et de myrrhe.
Il n'y avait personne derrière le comptoir. Des bancs, vides, polis par des années de service, et ces immenses étagères chargées, et ces placards, et des ornements qui cachaient sûrement des histoires fabuleuses, tenus discrets dans le foisonnement silencieux de la vaste pièce. Ouranos, malgré son visage apparemment lisse de toute émotion, scrutait l'endroit avec une avidité et une admiration qui faisaient battre son cœur lourdement. Il ne s'accorda que quelques instants de silence contemplatif, puis se rengorgea, et fit d'une voix grave et roulante, à l'accent encore très prononcé:

"Monsieur Selestin…?"

[ Me voiciiiii *insérez ici un rire machiavélique*]

Ouranos passa vaguement une main devant son visage, chassant la bruine qui constellait ses cheveux, et fouillant des yeux avec un mélange d'enthousiasme et de réserve les moindres recoins sombres de la boutique, comme s'il s'attendait à en voir surgir soudainement le maître des lieux. Lorsqu'il tourna la tête vers le comptoir, il faillit sursauter en apercevant la haute silhouette d'Endymion Selestin se découper dans la pénombre. Son visage, jusque là relativement impassible, fut éclaboussé d'une soudaine surprise, bien vite secondée par un ravissement difficilement contenu:

"Monsieur Selestin…!"

Il avait devant lui LE fabricant de baguettes, celui que tous le monde citait, que tous louangeaient de part le monde entier. Ouranos resta l'espace d'une seconde sidéré (et presque bouche bée d'ailleurs) face à la clarté cristalline de son regard. Comme on le lui avait mille fois conté, Endymion Selestin s'était présenté vêtu de noir, ses boucles lactescentes s'écoulant sur ses épaules, l'œil vif et doux, le sourire chaleureux, et avec ce petit quelque chose dans son aura qui le catapultait directement au rang "d'être à part".
Ouranos s'inclina instantanément, ses bras voilés par sa cape de voyage demeurant serrés contre son abdomen. Un geste tout autant destiné à manifester son profond rester pour ce Maître d'Art que pour dissimuler la nouvelle teinte carmine de ses joues. "Illustre famille", avait-il dit?

"T-Tout l'honneur est pour moi …"

Il se redressa de toute sa hauteur, un sourire accroché aux lèvres, tandis qu'Endymion l'invitait à venir s'asseoir. Le Grec suivit d'un regard attentif le léger mouvement de baguette du marchand, avant de le poser avec un intérêt à peine exagéré sur la table, les chaises et surtout le service à thé qui venaient d'apparaître. Oh oui, un thé…!

"Comment s'est passé votre voyage?"

Ouranos s'installa avec prudence à table à la suite de son aîné, passa un revers de main sur ses yeux comme pour chasser la tenace fatigue qui les alourdissait, esquissa un sourire léger avant de répondre d'une voix amusée:

"Aussi bien qu'il pouvait l'être à dos de dragon, je dirais..."

Ouranos laissa échapper un bref rire sous le couvert de sa main. Il ne s'était jamais habitué à ce type de transport, même s'il était rapide et fiable –sa préférence était toujours naturellement allée aux chevaux ailés. Ce vol-ci avait été particulièrement long, et plutôt exténuant, il fallait l'avouer. Le sorcier grec leva son regard azuré vers Endymion, encore stupéfié à l'idée de l'avoir en face de lui, et de parler avec lui autour d'une tasse de thé. Au-dehors, la pluie s'était mise à tomber plus lourdement, et jouait une sourde et agréable symphonie sur le toit de la boutique.

Une petite voix nommée Intuition soufflait sagement à l'oreille d'Ouranos qu'il n'avait pas finit d'être surpris par son nouvel employeur. Le jeune mage hocha la tête intérieurement, bien d'accord sur ce point, et éleva presque cérémonieusement sa tasse de thé à ses lèvres. Il huma son parfum particulier, fermant les yeux pour mieux en profiter –et quel délice, par tous les dieux! La première gorgée lui réchauffa agréablement la gorge, et lui redonna par la même occasion une once de vigueur fort utile pour poursuivre son premier entretien avec le gérant de la boutique de baguettes.
Endymion Selestin reprit la parole, de sa voix immuablement douce qui donnait toujours l'impression à ses interlocuteurs de retrouver un parent éloigné dont on attendait la visite avec impatience. Le jeune Grec étira un sourire, faisant tourner entre ses mains son délicat récipient pour prodiguer un peu de chaleur à ses mains, puis répondit avec un léger rire tintant dans sa voix à l'accent hellène:

"Eh bien…que dire…? La boutique est maintenant dirigée par Minos, comme vous l'avez dit. Il s'en sort très bien je dois dire, même si ses idées ne sont pas aussi puritaines que celles de grand-père Hypérion. Ils passent leurs journées à confronter leurs opinions devant les jeunes élèves du Sanctuaire, à qui par ailleurs il importe peu de savoir si leur bois provient de Grèce ou du Népal du moment que leur baguette est capable de lancer un sort…"

Ouranos sourit avant de boire une nouvelle gorgée de thé. Les petites disputes entre son frère et son grand-père étaient devenues monnaie courante dans l'atelier séculaire des Delikaris –cela égayait un peu les journées, selon lui, même si les élèves eux ressortaient traumatisés de leur rencontre avec la terrible famille de fabricants de baguettes.

"Pour ce qui est des nouvelles du pays…" Reprit le Grec avant de marquer une légère pause songeuse. "Hum…il semblerait que le Ministère tienne à réhabiliter le Sanctuaire de l'île d'Aea, qui avait été laissé à l'abandon depuis des siècles. C'est un endroit superbe, paraît-il; mais peu de sorciers s'y sont rendus depuis longtemps…"

Le Grec se remit à siroter son thé avec l'abandon du voyageur assoiffé, ne sachant dire s'il avait trop ou trop peu parlé pour satisfaire les interrogations d'Endymion Selestin. Il reposa sa tasse avec un soupir de délectation, puis reposa son regard céruléen sur son vis-à-vis tandis que la théière se remettait à flotter pour le servir de flots parfumés de thé une seconde fois.

(retard)

Endymion scrutait avec douceur et bienveillance son interlocuteur, et écoutait chacune de ses paroles. Le jeune homme semblait se détendre, et cela plut à Endymion.

Il tilta toutefois sur une phrase que prononça Ouranos.

"Je m'étonne que les enseignants du sanctuaire néglige d'expliquer à leurs élèves quelle est l'importance de la composition de leur baguette. C'est ce qui les rend unique, et variablement puissante ou non. Enfin, je ne vous apprends rien à ce sujet."

Il eut un sourire amusé, démontrant qu'il respectait le jeune homme et ses capacités.

"J'ai entendu parler du sanctuaire d'Aea. J'y ais même posé les pieds lors d'un ancien voyage que j'avais fait en Grêce. C'était il y a bien longtemps..."

Il eut un léger soupir puis recentra son attention sur le jeune sorcier.

"Mais bon, vous n'êtes pas venu jusqu'ici pour me parler de la Grêce. Pouvez vous m'expliquer en détail al raison de votre visite?"